Alors que le Rassemblement national a recueilli 29,25% des voix au premier tour des élections législatives, de nombreuses voix ont exprimé leur inquiétude dans le monde médiatique quant à l’impact de l’arrivée au pouvoir de l’extrême sur la liberté de la presse. En quoi cette idéologie menace-t-elle la liberté de la presse ?
L’Observatoire français des atteintes à la liberté de la presse a interrogé l’historien des médias, Alexis Lévrier. Cet enseignant-chercheur à l’université de Reims, spécialiste des relations entre journalisme et politique, apporte son éclairage sur trois facteurs de risque. Dans le contexte actuel, il considère « qu’une course de vitesse voulant prendre la démocratie de vitesse est engagée ».
La « duperie ». « Ce qui est est très paradoxal et commun à différentes situations d’entrée en scène de l’extrême droite, c’est que cette dernière revendique toujours être du côté de la liberté de la presse. L’extrême droite porte un discours dénonçant les atteintes à la liberté de la presse pour accéder au pouvoir. On l’a, par exemple, connu en France juste avant la Seconde Guerre mondiale avec la multiplication de titres racistes et antisémites. Avant de passer en 1940, à une phase où il n’y a plus eu de journaux libres.
Dans l’Amérique de Trump ou dans la Hongrie d’Orban, la liberté de la presse devient une menace. Elle est dénoncée comme une expression dominante de la pensée de gauche. En réalité, l’histoire montre que cet argument se révèle toujours être une duperie pour justement accéder au pouvoir.
D’abord parce que le fonctionnement démocratique sait “naturellement” réguler, encadrer à minima en se construisant dans la pluralité et dans l’exercice de contre-pouvoirs. Ensuite et surtout parce qu’une fois au pouvoir, il n’y a plus de liberté de la presse du tout. »
La mainmise sur les médias comme étape d’un projet politique. Dans son analyse d’historien spécialiste des rapports entre médias et politique, Alexis Lévrier va plus loin. Notamment en considérant que ce que nous concevons comme une « simple » atteinte à la liberté de la presse n’est, en fait, pas la finalité mais l’étape d’un projet politique plus vaste, généralement porté par les modèles illibéraux.
Objectif ? « La restructuration d’entreprises médiatiques qui sont dans l’opposition et qui deviennent favorables à ce nouveau pouvoir. Ces régimes politiques imposent des méthodes plus souples, moins binaires que les dictatures. Mais la stratégie consiste bien à rendre de plus en plus difficile la liberté d’expression en mettant la main sur des médias et en multipliant les pressions à l’égard de ceux qui demeurent indépendants. »
« Ce modèle, on le voit petit à petit s’imposer en France. Et il triomphera si l’extrême droite arrive au pouvoir », estime l’enseignant chercheur analysant en quelques mots l’assaut donné par le milliardaire Vincent Bolloré, avec sa chaîne CNews en tête de pont.
« Vous verrez ce qui va se passer dans l’audiovisuel public : privatisation pour une partie de ces médias et surtout purges pour les autres, qui perdront toute autonomie vis-à-vis de l’État. Une brutalité d’apparence moins massive et bien sûr conduite au nom de la liberté d’expression. »
Un signal fort, « l’acquiescement du pouvoir politique ». La restructuration de grands groupes médiatiques constitue déjà, pour Alexis Lévrier, un signal particulièrement fort. « En France, en 1986, le pouvoir politique a su imposer une limitation de la concentration des médias. Mais aujourd’hui, la République ne sait plus se défendre. Il y a une extension générale de cette restructuration dans toute la sphère médiatique : les oligarques qui détiennent les médias sont de moins en moins nombreux, et ils ont de plus en plus tendance à intervenir dans le fonctionnement des rédactions. Ce qui est saisissant, c’est que cette restructuration est conduite de façon verticale [prise de contrôle d’une entreprise et de la nature de l’information produite, ndlr] mais aussi de façon horizontale [prise de contrôle de plusieurs mêmes types de médias : chaînes de TV, titres de presse, maison d’édition grand public ou maison d’édition scolaire, ndlr]. »
Cette large offensive se fait, selon l’historien, « avec l’acquiescement du pouvoir politique qui a peur, dévoilant un défaut de culture. La faiblesse du pouvoir politique, c’est de se garantir l’opportunité d’apparaître dans ces médias ! Cette faiblesse du pouvoir politique va même jusqu’à faire sauter les digues en attaquant les dispositifs qui permettent encore une régulation des médias »
Olivier Scaglia, co-président de l’Ofalp.
Photo d'illustration : Olivier Scaglia.
Alexis Lévrier en 2017. Photo : Julien Mooro.