Lancement de l’Ofalp : la première base de données ciblant les atteintes à la liberté de la presse en France

C’était tout un symbole que d’organiser ce 18 mars 2024 la première conférence de presse de l’Ofalp au Dissident Club, à Paris, le bar culturel créé par le journaliste d’investigation pakistanais en exil Taha Siddiqui. Nous étions heureux d’accueillir au sein de ce repaire chaleureux une dizaine de médias – dont l’AFP, France Culture, L’Humanité, La Correspondance de la presse – et représentants d’organisations « sœurs » aux préoccupations communes, telles que Sherpa, Reporters sans frontières, Anticor, ou le Fonds pour une presse libre. L’occasion pour les cinq co-présidents du bureau (Lucile Berland, Cécile Dolman, Candice Fleurance, Virgile Miletto et Olivier Scaglia) d’expliquer la démarche de l’Ofalp et ses missions, puis de répondre aux questions. 

L’inquiétude comme moteur 

L’idée de créer un observatoire des atteintes à la presse est née en marge des Assises du Journalisme de Tours, fin mars 2023. Plusieurs journalistes – Lucile Berland (INPD), Yann Guégan (CDJM), Alexandre Buisine (SNJ) – échangent alors sur la nécessité de créer un outil de recensement de ces atteintes et commencent à en parler autour d’eux. 

Six mois et une quinzaine de réunions zoom plus tard, une trentaine de journalistes et de citoyens se retrouvent le soir du 29 novembre 2023 à l’hôtel de ville de Paris, dans sa symbolique salle Tignous, pour poser la pierre fondatrice de l’association loi 1901 qui portera cet observatoire.

Tous s’unissent autour d’une même impression, la même inquiétude diffuse, d’une « l’inflation des atteintes à la liberté de la presse en France », explique Lucile Berland, journaliste-réalisatrice et cofondatrice. Des atteintes « plus fréquentes et plus violentes depuis quelques années », selon les mots d’Olivier. Une inquiétude qu’exprimeront également, pendant cette conférence de presse, l’ONG Sherpa et le Fonds pour une presse libre. « Nous avons décidé, à travers l’Ofalp, de dénombrer, documenter et recenser ces atteintes, et de publier un rapport chaque année », ajoute Lucile. Mais pas seulement : il est aussi question d’interpeller à travers des tribunes et des événements, et de porter cette inquiétude, une fois nourrie de chiffres et de constats, auprès des pouvoirs publics. 

Comprendre et catégoriser une atteinte à la liberté de la presse 

Cécile Dolman, journaliste-réalisatrice et également cofondatrice, liste les quatre grandes catégories d’atteintes à la liberté de la presse établies par l’Ofalp :

  • Les pressions judiciaires excessives sur les journalistes ou les médias, telles que les procédures-bâillons ;

  • Les atteintes à la sécurité et à l’intégrité physique des professionnels de l’information (en manifestation par exemple) ;  

  • L’obstruction de l’accès à l’information (journalistes dont on refuse abusivement la présence à des conférences de presse, difficulté à obtenir un document…) 

  • Les pressions, censures et atteintes à l’indépendance, y compris à l’intérieur d’un média ou par des actionnaires. 

À l’intérieur de ces quatre grandes catégories, dix-sept sous-catégories ! Notre dispositif de classement est testé depuis de longs mois. L’analyse d’une atteinte aux libertés de la presse se déploie en trois temps :

  • son signalement et sa catégorisation
  • sa vérification
  • sa validation

C’est seulement si l’atteinte franchit ces trois étapes qu’elle figurera dans le rapport annuel de l’Ofalp. Cécile précise qu’une safe box, une boîte email sécurisée, devrait permettre à l’avenir à des journalistes d'alerter l'Ofalp en tout anonymat. 

Des journalistes, des citoyens, des personnes morales

Virgile Miletto, éditeur indépendant, est lors de cette conférence de presse le représentant des citoyens membres de l’Ofalp. Ils ne sont pas journalistes, mais lecteurs, internautes, auditeurs, téléspectateurs… et leur présence est apparue indispensable lors de la fondation de l'association. « Il faut recréer de la confiance entre les médias et leur public, et c’est possible si on lui fait comprendre les conditions d’exercice du métier, ses contraintes structurelles. La liberté de l’exercer doit être adossée au droit de savoir pour les citoyens », explique Virgile. Trois collèges composent d’ailleurs l’association : l’un est composé de journalistes, l’autre de citoyens, et le troisième de « personnes morales » telles que d’autres associations, des syndicats etc. L’Ofalp s’interdit en revanche, indépendance oblige, d’avoir pour adhérents des entreprises, y compris des médias, des partis politiques, des administrations publiques ou des syndicats patronaux. 

Documenter et alerter

Le « plaidoyer », c’est une pratique qui consiste, pour une ONG, à défendre une cause auprès des institutions et des pouvoirs publics. Cette démarche est-elle au programme pour l’Ofalp, demande Pavol Szalai, de Reporters sans frontières ? Bien sûr, répond Lucile Berland, lorsque les données seront suffisantes pour être rendues publiques. « Documenter et alerter, ce sont nos deux lignes directrices », ajoute Cécile Dolman.

Existe-t-il des organisations qui recensent elles aussi les atteintes portées à la liberté de la presse dans d’autres pays ? C’est une question de La Correspondance de la presse. Réponse de Lucile : l’Ofalp a repéré diverses initiatives au niveau international ou européen, comme le Freedom Tracker au Etats-Unis, dont Reporters sans frontières est partenaire, ou le Centre européen pour la liberté de la presse et des médias (ECPMF), qui cartographie les atteintes à la liberté de la presse dans tous les pays membres de l’Union européenne. 

Notre observatoire a lui pour ambition de se concentrer uniquement sur la France, afin d’y effectuer un recensement systématique, ciblé et public. Sa cellule de veille sera opérationnelle en avril, pour travailler sur les données relevées depuis le début de l’année 2024. 

Prochain rendez-vous : le 26 mars, à 16 h 30, l’Ofalp sera aux Assises du journalisme, à Tours, pour animer un atelier sur les procédures-bâillons, avec des intervenantes des associations Sherpa et Media Defence.