Simon Fontvieille est journaliste indépendant à Toulon et travaille pour Mediapart. Il est l’auteur de plusieurs enquêtes sur le “système Falco”, du nom de l’ancien maire de Toulon. Ce 16 mai 2025, ce dernier sera jugé pour injures publiques à l’égard de notre confrère. Falco avait insulté Simon devant des élus et officiels, et menacé de “l’emplâtrer”. Cet épisode n’était que le dernier d’une longue série d’entraves et d’intimidations que Simon déroule ici pour l’Ofalp. Récit.
Lisez ces quelques mots.
« Espèce de chien », « Chien galeux », « Je dis que tu es un chien galeux. Tu es un connard ! »,« Oui je te le dis ! Écris-le à Mediapart que je t’ai dit que tu étais un connard ».
Nous sommes le 28 août 2023, devant le monument aux morts de Toulon. C’est le 69è anniversaire de la Libération de la ville. Le maire vient de prononcer un discours sur les valeurs de la démocratie. Préfet, officiers militaires, anciens combattants, sénateurs, députés, élus des collectivités locales : tous saluent ce vibrant hommage à la République.
Je viens de prendre en photo Hubert Falco, ancien maire de la ville, ancien ministre. Il se dirige alors vers moi et se plante à vingt centimètres de mon visage. Retenu par deux proches, il me menace et m'insulte devant le parterre d'officiels.Qui regardent leurs souliers. Le 27 novembre 2023, je dépose plainte contre l'ancien ministre pour injure publique. Une première dans sa longue carrière politique.
Maire, député, sénateur, président de métropole et de département, membre de deux gouvernements sous les présidences Chirac et Sarkozy. Hubert Falco a longtemps été le maître incontesté du Var, ce coin de Provence d’un million d'habitants qui abrite la plus grande base militaire d'Europe dans la rade de Toulon.
En avril 2023, sa carrière a volé en éclats : suite à un jugement du tribunal judiciaire de Marseille, Falco a été déchu de tous ses mandats, reconnu coupable de recel de détournements de fonds publics. Un jugement confirmé en mai 2024 par une décision de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, contre laquelle Falco a formé un pourvoi devant la Cour de Cassation.
Ce fameux 28 août, si le baron détrôné s'en prend à moi avec autant de violence, c'est qu'il estime que je suis en partie responsable de sa déchéance. Depuis 2018, je travaille sans relâche pour comprendre, documenter et révéler la nature du système politique dont il a hérité et qu'il a continué de forger pendant plus de 30 ans.
J'ai révélé l'existence de fraudes électorales pour des scrutins nationaux et régionaux. J'ai révélé des cas de corruption supposés dans l'attribution de HLM chez le bailleur social de la ville - l’association Anticor a depuis déposé plainte. J'ai révélé la mort par pendaison d’un lanceur d'alerte ayant dénoncé les avantages indûs dont a bénéficié Hubert Falco pendant de longues années.
Ces insultes d’août 2023 constituent le dernier épisode en date d'une longue série d'intimidations dont je suis l'objet depuis que je cherche à exercer mon métier à Toulon. Retour en arrière. En décembre 2017, alors jeune journaliste du quotidien local Var-Matin, je publie une enquête sur la pollution des navires de croisière.
Elle déplaît fortement à la mairie de Toulon, alors pilotée par Falco, et à la Chambre de commerce. Au journal, on me fait savoir qu’il me sera difficile de continuer sur cette voie. Quelques mois plus tard, mon CDD n’est pas renouvelé.
Frappé par cette méthode, et ayant découvert l'existence d'une fraude électorale, je décide de rester à Toulon. Pendant deux ans, en vivant sur mes indemnités chômage, j'enquête avec mon confrère Jean-Baptiste Malet pour le Monde diplomatique sur les dérives du système Falco.
En février 2020, j'envoie des questions à Hubert Falco dans le cadre du contradictoire. C’est son avocat qui me répond avec un courrier de menaces à peine voilées, où l’on peut lire notamment cette phrase : « Lorsqu'on emprunte un chemin aussi scabreux, on fait forcément de mauvaises rencontres ».A la même période, dans les tracts électoraux dont il inonde la ville afin de se faire réélire, Falco me qualifie sans me nommer de "messager du caniveau" . Des élus proches de lui remettent en cause mon professionnalisme en me traitant de "journaliste militant."
J’écris alors pour le journal d’obédience communiste La Marseillaise. J’y ai révélé en mars 2020 la mort par pendaison d’un cuisinier du Conseil départemental. Il avait raconté à la police les repas quotidiens qu’il préparait pour Hubert Falco alors même qu’il n’était plus un élu départemental… D’après ses proches, ce cuisinier avait ensuite fait l’objet de pressions. Quelques jours après la publication, la direction du journal m'annonce la fin de notre collaboration. Mon enquête sur la mort du cuisinier est aujourd'hui introuvable sur le site web de La Marseillaise.
Pendant cette période, on m’affirme régulièrement que des plaintes ont été déposées contre moi par Falco, son entourage ou son avocat. Leur objectif, c’est de m'effrayer et de me détruire professionnellement. Mais ces plaintes pour "diffamation" ou "recel de faux documents" n’existent pas (à cette date, Hubert Falco n’a jamais déposé plainte contre moi pour diffamation). La justice et la police m'envoient également des convocations, qui sont au dernier moment annulées ou repoussées "sine die".
On flirte parfois avec ce qui ressemble à de l'intimidation physique. À plusieurs reprises, le garde du corps d’Hubert Falco s’est mis physiquement en travers de ma route en me regardant fixement - notamment lors du procès d’Hubert Falco en première instance.
Comment répondre à ces intimidations multiples, protéiformes ? Ma solution a été de le faire à travers le journalisme. Chaque menace, chaque fausse plainte, chaque intimidation a été racontée dans un de mes articles. Mediapart, pour qui je travaille depuis 2021, m’a permis de révéler ces méthodes à un lectorat national. En avril 2023, alors qu'Hubert Falco vient d'être condamné pour recel de détournement de fonds publics (cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire), il me traite d'«ordure» en réponse à une question. Cette insulte se retrouvera en Une du site d'information. Dans mon article relatant l’audience, j'avais mentionné les propos du procureur qui avait eu l'impression de se retrouver face à "un dossier de criminalité organisée".
Cette série de comportements face à un journaliste qui exerce simplement son métier émane d'un ancien ministre de la République et de son entourage, dans le port d'attache de la plus grande partie de la flotte française, à Toulon. Aujourd'hui encore, Hubert Falco est persuadé que je suis l'instrument d'une machination destinée à lui nuire. Il est incapable de concevoir qu’on puisse pratiquer un journalisme digne ce nom.
J’ajoute que jusqu’à il y a peu, mes révélations n’étaient pas reprises par d’autres médias - les choses sont en train de changer. Depuis le printemps 2023, la presse locale est plus encline à relayer mes informations. Reste que le poids financier de la publicité institutionnelle handicape les titres qui auraient la volonté d’enquêter en profondeur sur les pratiques des collectivités locales. Et parce qu’au niveau national, ces histoires sont souvent vues de haut et avec désintérêt. Elles sont pourtant les expressions premières de la vie démocratique d'un pays.
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